mardi 9 novembre 2010
Le Goncourt de circonstance(s)
Jed Martin est un peintre contemporain passionné par les cartes Michelin ; tellement passionné qu’il en fait des œuvres d’art par photo-montages. Mais c’est plutôt ses portraits de la vie quotidienne des « petits artisans » qui vont le rendre célèbre. Un peu trop célèbre peut-être, ses toiles vont se vendre à des prix exorbitants et Jed s’en trouvera, certes très riche, mais également dépourvu dans ce monde de l’art qu’il n’aime pas trop et qu’il ne comprend pas.
C’est lors de la préparation d’une prochaine exposition qui lui sera consacrée qu’il rencontre l’auteur célèbre qu’est Michel Houellebecq. Les organisateurs ont en effet besoin d’un écrivain célèbre pour écrire une introduction au catalogue de l’exposition. Ca ne l’enchante guère, mais il se décide tout de même à prendre l’avion pour l’Irlande, pays que l’écrivain a choisi depuis bon nombre d’années pour y retrouver un calme qu’il n’avait plus en France.
Ce roman est une histoire d’amitié impossible entre deux hommes qui vivent dans leur monde respectif. C’est également un livre sur la relation entre le père et le fils, entre Jed et son père mourant. Ces pages écrites avec beaucoup de tendresse sont certainement les plus beaux chapitres qu’Houellebecq nous offre ici.
Mais il y a également un côté polar dans ce livre, il y a effectivement une mort étrange et horrible qui sera suivie par une enquête policière quelque peu chaotique, mais c’est du Houellebecq tout de même, alors la trame de l’histoire ne peut pas vraiment rentrer dans les habitudes du genre.
Michel Houellebecq est connu pour ses romans géniaux et toujours maltraités par la presse. A chaque fois, c’est le scandale assuré. Ses romans sont adulés par certains et détestés par d’autres, ce qui est déjà une excellente raison pour les publier. Mais Houellebecq, qu’il le veuille ou non, est devenu au cours des années le chef de file d’un nouveau mouvement littéraire que l’on pourrait qualifier de néo-réaliste désenchanté. On citera entre autres Virginie Despentes ou encore le très médiatique Frédéric Beigbeder. On a trop souvent critiqué ces auteurs pour être des rebelles trash et névrosés sans aucune valeur littéraire, mais il ne faut pas oublier que toute société a l’art qu’elle mérite. Et si ces écrivains sont aussi pessimistes et durs envers l’être humain et la société contemporaine, c’est qu’ils représentent d’une façon hyper-réaliste ce qu’est devenu la société occidentale à la fin du 20e et au début du 21e siècle.
En ce qui concerne le style littéraire de ces auteurs, ce qui devrait être l’unique facteur à être pris en compte, il y a de grandes différences entre ces trois écrivains. Despentes et Beigbeder se bonifient avec le temps, tandis qu’Houellebecq, outre le fait d’avoir lancé ce mouvement littéraire, dès le début nous a présenté des textes extrêmement bien écrits et travaillés. Il ne faut pas oublier qu’il est également poète, et ça se perçoit dans la maîtrise qu’il possède de la langue française, que ce soit dans ses romans ou dans tout autres écrits.
« La carte et le territoire » est un roman moins « trash » que ses précédents, et peut-être également moins pessimiste. On a l’impression que les pontes du « Prix Goncourt » attendaient cela depuis longtemps et qu’ils ont sauté sur l’occasion. En effet, comment donner le prix Goncourt à un écrivain si dérangeant, à un auteur que l’on dit neurasthénique et misanthrope, à un écrivain qui incarne à lui seul toute la déchéance d’un Occident malade et en perte de valeurs fondamentales. Le jury semble satisfait de lui, mais c’est bien avant qu’ils auraient du lui donner ce prix, ils ont juste manqué de courage.
Michel Houellebecq est depuis une vingtaine d’années le plus grand écrivain français. Et rappelons-nous la question posée à André Gide : « Pour vous, qui est le plus grand écrivain français du 19e siècle ? », et la réponse de Gide : « Victor Hugo, malheureusement ». Transposons cela en 2010, où l’on pourrait entendre Frédéric Beigbeder interviewer Houellebecq en lui posant la même question pour le 21e siècle ; « Pour vous, qui est le plus grand écrivain français du 21e siècle ? », on entendrait à coup sûr comme réponse laconique : « Michel Houellebecq, malheureusement ».
Disons que ce prix nous a permis d’entendre Michel Houellebecq déclarer à une chaîne télévisée française qu’il était « heureux » de recevoir ce prix. Oui, Michel Houellebecq est « heureux » et c’est tant mieux pour lui, n’en déplaise aux journalistes qui le voient comme un alcoolique constamment au bord du suicide. Il est apparu très ému celui que l’on dit être l’ermite de la littérature française et l’être le plus dépourvu de sentiments.
Et comme à chaque sortie d’un de ses livres, certains vont adorer, d’autres détester.
La carte et le territoire, par Michel Houellebecq, Flammarion, 2010, 428 p.
Pierre C.
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