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lundi 27 juin 2016

de "tof" lectures !






La chance m'a permis de participer au jury de ce prix, et de découvrir tout au long de cette année 12 livres récents et très différents les uns des autres.  En voici quelques uns parmi mes préférés.  Le verdict du jury, présidé par Philippe Delerm : le 18 août prochain!  D'ici là., faites-vous votre opinion, ... bonne lecture et bel été!





Les premières pages du roman plongent le lecteur dans le cataclysme du 11 septembre 2001 : du haut du gratte-ciel qu’il est occupé à construire, avec d’autres ironworkers, John voit un avion s’encastrer dans la première des deux twin towers. Ces tours, son père les a bâties avec d’autres Indiens Mohawks de sa tribu, il y est même mort, frappé par la foudre.
Habité par cet héritage, John sera un de ces héros anonymes, découpant sans relâche les poutrelles effondrées pour essayer d’en extraire des survivants.

Et pendant que ce monde s’effondre, l’auteur nous invite à remonter le temps, à la rencontre des générations précédentes, dans ces tribus indiennes que l ’insensibilité supposée au vertige a conduit à bâtir l’Amérique à travers ses ponts et ses gratte-ciel de plus en plus vertigineux.  Et c’est ainsi que la clé à mâchoire servant à riveter les poutres d’acier a un jour remplacé le tomahawk…

Un récit à plusieurs niveaux, une belle construction littéraire où le passé peu à peu éclaire le présent, et où l’on s’attache à cette confrérie hors du commun, consciente du danger mais aussi de sa valeur, et ne résistant pas à tutoyer le ciel, toujours plus haut.
A noter que l’auteur a couvert comme journaliste les événements du 11 septembre, d’où la documentation extrêmement fournie qui étaye son récit.


Ciel d'acier, par Michel Mouton, ed. Seuil (Points), 2016, 440 p.




Anthime, un ado discret (mais on sait ce qu’il en est de l’eau qui dort) se révèle une flèche sur un parcours de cross.  Ses performances lui valent bientôt une renommée de futur champion et l’adulation des foules.
L’adolescent serre les dents, endure les entraînements éprouvants sous la férule d’un entraîneur vieillissant dont il est la dernière chance d’emmener un jeune athlète en haut des podiums.
Anthime veut gagner, pour lui-même, pour se prouver qu’il existe vraiment, pour sa sœur, à qui le lient des sentiments troubles, pour Béatrice, la blonde danseuse dont la rage d’arriver au sommet est la même que la sienne…
Et puis Anthime s’effondre.  Trop sollicité, son corps le trahit en pleine course, et il en reste pétrifié de honte et de désespoir.  Tellement pétrifié que pendant 20 ans, il s’abîmera  dans une vie fossilisée, aux côtés de Joanna, son admiratrice de toujours, qu’il a épousée sans l’aimer.
Et pourtant, dans ce corps ankylosé bat toujours le cœur d’un pélican…
Anthime n’est pas un héros sympathique auquel on s’attache.  C’est un homme en colère, une colère née de toutes ses frustrations. Et le lecteur suit sa course aveugle et cruelle avec un malaise qui s’intensifie au fil des pages.
Le sport est ici un spectacle, avec des fans qui adulent le pélican qui s’envole, le chargeant de leurs frustrations de ne pouvoir faire pareil, et l’écrasent de leur mépris lorsqu’il chute.
Un livre fort et dérangeant.


Le coeur du pélican, par Cécile Coulon, ed. Seuil (Points), 2016, 261p.

 


Javier Mallarino est depuis 40 ans le caricaturiste politique du plus important quotidien en Colombie. 
Autorité morale pour certains, ennemi public pour d’autres, il s’apprête à recevoir un hommage officiel pour l’ensemble de sa carrière.  Il n’est pas dupe de cette reconnaissance politique, mais il l’accepte.
Au fil du temps en effet, Mallarino s’est peu à peu complu dans ce pouvoir qu’il a sur les autres, sur ceux qu’il humilie par ses dessins.  Et même s’il sait au fond de lui ne pas mériter ce pouvoir, une part de lui jubile et s’en nourrit.
Tout cela a un prix, bien sûr.  Agressivité à son égard, amis qui lui tournent le dos, menaces… Comme le dit son rédacteur en chef : « dans ce pays, on ne devient quelqu’un que lorsque quelqu’un d’autre cherche à te faire du mal ».  Magdalena, la femme de Mallarino, ne l’a pas supporté, et s’est éloignée , elle aussi.
Et puis arrive cette confrontation inattendue avec un événement de son passé…
Juan Gabriel Vasquez, dans tous ses romans, implique ses personnages dans l’histoire contemporaine de son pays, la Colombie, en sonde les plaies, en dénonce les dysfonctionnements.
Dans un style simple, fluide, il amène ici le lecteur à s’interroger avec lui sur le pouvoir de la presse et des médias en général.  Où commence l’abus de pouvoir ?  La page de journal est-elle la preuve de la réalité d’un fait ?
Une question universelle et d’autant plus cruciale aujourd’hui qu’Internet permet à tout un chacun de s’improviser journaliste ou juge sans pour autant mesurer la responsabilité qui en découle.

Les réputations, par Juan Gabriel Vasquez, ed. Seuil (Points), 2016



Le vieux Stepan vit seul, quelque part dans la campagne en Israël, près d'une forêt.
Son seul contact avec le monde, c’est son ami et employeur Samuelson, un ancien du service militaire. Une fois par mois, Samuelson lui apporte des provisions et son travail, des petites boîtes en carton que Stepan assemble toute la journée.
Un travail mal payé, mais qui doit lui permettre d’aller voir son fils, réfugié en Nouvelle Zélande, après un événement que l’on apprendra plus tard dans le récit.
Les variations de la météo, le déroulement des saisons, la fatigue de plus en plus grande de sa chienne, marquent le temps et la vie de Stepan, comme laissé au bord du chemin du monde et de ce qui s’y passe. Mais au-delà de ce qui est dit, il y a tout ce qui n’est pas dit mais que le lecteur perçoit : la solitude, la complexité des relations entre les gens, le conflit et la méfiance entre Arabes et Israëliens…



La route de Beit Zera, par Hubert Mingarelli, ed. Seuil (Points), 2016, 156p.


 1943, quelque part en Ukraine : Edmund , le narrateur, 17 ans,  a fui la déportation et a rejoint dans la forêt un groupe de partisans juifs d’horizons très divers : il y a des juifs religieux, des communistes purs et durs, des sionistes, des hommes , des femmes, et même des enfants.
Menés par Kamil et Félix, ils tendent des embuscades aux Allemands, font sauter des trains de la mort, recueillent les survivants, et espèrent tenir jusqu’à l’arrivée de l’Armée rouge.

Quelques personnages emblématiques portent le récit et lui donnent tout son sens.
Kamil, le chef charismatique représente l’idéal qui anime le groupe : faire le bien pour témoigner de l’humanité de l’Homme face à un monde dominé par le Mal.
La vieille Tsirel est une sorte de divinité tutélaire, dont les paroles pleines de sagesse soutiennent les combattants…
Aharon Appelfeld a vécu lui aussi, à l’âge de 8 ans, une vie précaire dans des conditions semblables, et sans doute a-t-il mis beaucoup de lui-même dans le personnage de Michaël, 8 ans lui aussi, qui porte sur les événements son regard d’enfant confronté à la souffrance et au danger.

J’avoue pourtant avoir eu un peu de mal à entrer dans ce livre, le récit m’a tout d’abord perdu dans de trop fréquentes digressions autour de la littérature religieuse juive, principal sujet de discussion des combattants, qui y puisent réconfort et encouragement à l’action.
Mais ces livres qu’ils dévorent et dont ils débattent sont pour eux le moyen de résister aux souffrances du quotidien et l’on s’attache peu à peu  à ces personnages, à leur combat pour rester debout et  pour témoigner de leur foi en l’homme, à leur idéal, qui est sans doute aussi celui de l’auteur, d’un monde de fraternité.

Les partisans, par Aharon Appelfeld, ed. Seuil (Points), 2016, 330p.

Isabelle P.