La chance m'a permis de participer au jury de ce prix, et de découvrir tout au long de cette année 12 livres récents et très différents les uns des autres. En voici quelques uns parmi mes préférés. Le verdict du jury, présidé par Philippe Delerm : le 18 août prochain! D'ici là., faites-vous votre opinion, ... bonne lecture et bel été!
Les premières pages du roman plongent le lecteur dans le
cataclysme du 11 septembre 2001 : du haut du gratte-ciel qu’il est occupé
à construire, avec d’autres ironworkers, John voit un avion s’encastrer dans la
première des deux twin towers. Ces tours, son père les a bâties avec d’autres
Indiens Mohawks de sa tribu, il y est même mort, frappé par la foudre.
Habité par cet héritage, John sera un de ces héros anonymes,
découpant sans relâche les poutrelles effondrées pour essayer d’en extraire des
survivants.
Et pendant que ce monde s’effondre, l’auteur nous invite
à remonter le temps, à la rencontre des générations précédentes, dans ces
tribus indiennes que l ’insensibilité supposée au vertige a conduit à bâtir
l’Amérique à travers ses ponts et ses gratte-ciel de plus en plus
vertigineux. Et c’est ainsi que la clé à
mâchoire servant à riveter les poutres d’acier a un jour remplacé le tomahawk…
Un récit à plusieurs niveaux, une belle construction
littéraire où le passé peu à peu éclaire le présent, et où l’on s’attache à
cette confrérie hors du commun, consciente du danger mais aussi de sa valeur,
et ne résistant pas à tutoyer le ciel, toujours plus haut.
A noter que l’auteur a couvert comme journaliste les
événements du 11 septembre, d’où la documentation extrêmement fournie qui étaye
son récit.
Ciel d'acier, par Michel Mouton, ed. Seuil (Points), 2016, 440 p.
Ciel d'acier, par Michel Mouton, ed. Seuil (Points), 2016, 440 p.
Anthime, un ado discret (mais on sait ce qu’il en est de
l’eau qui dort) se révèle une flèche sur un parcours de cross. Ses performances lui valent bientôt une
renommée de futur champion et l’adulation des foules.
L’adolescent serre les dents, endure les entraînements
éprouvants sous la férule d’un entraîneur vieillissant dont il est la dernière
chance d’emmener un jeune athlète en haut des podiums.
Anthime veut gagner, pour lui-même, pour se prouver qu’il
existe vraiment, pour sa sœur, à qui le lient des sentiments troubles, pour
Béatrice, la blonde danseuse dont la rage d’arriver au sommet est la même que
la sienne…
Et puis Anthime s’effondre. Trop sollicité, son corps le trahit en pleine
course, et il en reste pétrifié de honte et de désespoir. Tellement pétrifié que pendant 20 ans, il s’abîmera dans une vie fossilisée, aux côtés de Joanna,
son admiratrice de toujours, qu’il a épousée sans l’aimer.
Et pourtant, dans ce corps ankylosé bat toujours le cœur
d’un pélican…
Anthime n’est pas un héros sympathique auquel on
s’attache. C’est un homme en colère, une
colère née de toutes ses frustrations. Et le lecteur suit sa course aveugle et
cruelle avec un malaise qui s’intensifie au fil des pages.
Le sport est ici un spectacle, avec des fans qui adulent
le pélican qui s’envole, le chargeant de leurs frustrations de ne pouvoir faire
pareil, et l’écrasent de leur mépris lorsqu’il chute.
Un livre fort et dérangeant.
Le coeur du pélican, par Cécile Coulon, ed. Seuil (Points), 2016, 261p.
Javier Mallarino est depuis 40 ans le caricaturiste
politique du plus important quotidien en Colombie.
Autorité morale pour certains, ennemi public pour
d’autres, il s’apprête à recevoir un hommage officiel pour l’ensemble de sa
carrière. Il n’est pas dupe de cette
reconnaissance politique, mais il l’accepte.
Au fil du temps en effet, Mallarino s’est peu à peu
complu dans ce pouvoir qu’il a sur les autres, sur ceux qu’il humilie par ses
dessins. Et même s’il sait au fond de
lui ne pas mériter ce pouvoir, une part de lui jubile et s’en nourrit.
Tout cela a un prix, bien sûr. Agressivité à son égard, amis qui lui
tournent le dos, menaces… Comme le dit son rédacteur en chef : « dans
ce pays, on ne devient quelqu’un que lorsque quelqu’un d’autre cherche à te
faire du mal ». Magdalena, la femme
de Mallarino, ne l’a pas supporté, et s’est éloignée , elle aussi.
Et puis arrive cette confrontation inattendue avec un
événement de son passé…
Juan Gabriel Vasquez, dans tous ses romans, implique ses
personnages dans l’histoire contemporaine de son pays, la Colombie, en sonde les
plaies, en dénonce les dysfonctionnements.
Dans un style simple, fluide, il amène ici le lecteur à
s’interroger avec lui sur le pouvoir de la presse et des médias en
général. Où commence l’abus de
pouvoir ? La page de journal
est-elle la preuve de la réalité d’un fait ?
Une question universelle et d’autant plus cruciale
aujourd’hui qu’Internet permet à tout un chacun de s’improviser journaliste ou
juge sans pour autant mesurer la responsabilité qui en découle.
Les réputations, par Juan Gabriel Vasquez, ed. Seuil (Points), 2016
Les réputations, par Juan Gabriel Vasquez, ed. Seuil (Points), 2016
Le vieux Stepan vit seul, quelque part dans la campagne en Israël, près d'une forêt.
Son seul contact avec le monde, c’est son ami et employeur
Samuelson, un ancien du service militaire. Une fois par mois, Samuelson lui apporte
des provisions et son travail, des petites boîtes en carton que Stepan assemble
toute la journée.
Un travail mal payé, mais qui doit lui permettre d’aller
voir son fils, réfugié en Nouvelle Zélande, après un événement que l’on
apprendra plus tard dans le récit.
Les variations de la météo, le déroulement des saisons,
la fatigue de plus en plus grande de sa chienne, marquent le temps et la vie de
Stepan, comme laissé au bord du chemin du monde et de ce qui s’y passe. Mais
au-delà de ce qui est dit, il y a tout ce qui n’est pas dit mais que le lecteur
perçoit : la solitude, la complexité des relations entre les gens, le
conflit et la méfiance entre Arabes et Israëliens…
La route de Beit Zera, par Hubert Mingarelli, ed. Seuil (Points), 2016, 156p.
1943, quelque part en Ukraine : Edmund , le
narrateur, 17 ans, a fui la déportation
et a rejoint dans la forêt un groupe de partisans juifs d’horizons très
divers : il y a des juifs religieux, des communistes purs et durs, des
sionistes, des hommes , des femmes, et même des enfants.
Menés par Kamil et Félix, ils tendent des embuscades aux
Allemands, font sauter des trains de la mort, recueillent les survivants, et
espèrent tenir jusqu’à l’arrivée de l’Armée rouge.
Quelques personnages emblématiques portent le récit et
lui donnent tout son sens.
Kamil, le chef charismatique représente l’idéal qui anime
le groupe : faire le bien pour témoigner de l’humanité de l’Homme face à
un monde dominé par le Mal.
La vieille Tsirel est une sorte de divinité tutélaire,
dont les paroles pleines de sagesse soutiennent les combattants…
Aharon Appelfeld a vécu lui aussi, à l’âge de 8 ans, une
vie précaire dans des conditions semblables, et sans doute a-t-il mis beaucoup
de lui-même dans le personnage de Michaël, 8 ans lui aussi, qui porte sur les
événements son regard d’enfant confronté à la souffrance et au danger.
J’avoue pourtant avoir eu un peu de mal à entrer dans ce
livre, le récit m’a tout d’abord perdu dans de trop fréquentes digressions
autour de la littérature religieuse juive, principal sujet de discussion des
combattants, qui y puisent réconfort et encouragement à l’action.
Mais ces livres qu’ils dévorent et dont ils débattent sont
pour eux le moyen de résister aux souffrances du quotidien et l’on s’attache
peu à peu à ces personnages, à leur
combat pour rester debout et pour témoigner
de leur foi en l’homme, à leur idéal, qui est sans doute aussi celui de l’auteur,
d’un monde de fraternité.
Les partisans, par Aharon Appelfeld, ed. Seuil (Points), 2016, 330p.
Isabelle P.
Les partisans, par Aharon Appelfeld, ed. Seuil (Points), 2016, 330p.
Isabelle P.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire